Jeux télévisés : condamnés à innover
Interview de Laurence Leveneur
De Télé-Match à Fort Boyard en passant par Des Chiffres et des Lettres, … à chaque génération, ses jeux. Laurence Leveneur consacre ses recherches à ce genre télévisé très populaire mais aujourd’hui secoué par la concurrence.
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Comprendre pour entreprendre : Vous avez étudié l’évolution des jeux télévisés en France depuis 1950. Elle doit être spectaculaire ?

Laurence Leveneur : J’ai consacré mes recherches à ces questions car les jeux télévisés avaient suscité peu de travaux universitaires, probablement parce que ce genre est en un peu méprisé par les chercheurs. J’ai travaillé notamment à partir des archives de l’INA et d’entretiens auprès des professionnels de la télévision (producteurs, programmateurs). La première tendance qui se dégage est que de nombreux jeux télévisés, programmés traditionnellement en début de soirée jusque dans les années 2000, ont aujourd’hui disparu de ces créneaux horaires. Ils ont été supplantés progressivement par la télé-réalité et les feuilletons.

Le jeu télévisé serait donc en perte de vitesse ?

C’est le manque de renouvellement du genre qui est probablement en cause. En effet, l’évolution des formules n’est pas frappante depuis les années 50. À l’époque, il y avait par exemple Télé-match, un jeu d’épreuves physiques et de questions. Aujourd’hui, c’est Fort Boyard ou La Carte aux trésors, avec des quizz de culture générale et des épreuves sportives. Le principe de jeu est assez similaire, même si la mise en scène a considérablement changé.

Vous tablez sur une forte contraction de ces jeux traditionnels ?

À l’heure du déjeuner, c’est vrai qu’ils continuent à avoir une forte audience. Ils attirent près de la moitié des téléspectateurs avec de grandes réussites comme Les 12 coups de midi (plus de 3,5 M de téléspectateurs) ou Tout le monde veut prendre sa place (près de 2 M). Avec plus de 200 victoires d’affilée, la gagnante de ce dernier jeu a beaucoup fait parler d’elle. Il s’agit de la joueuse au monde qui a accumulé le plus de victoires à un jeu télévisé.

Mais ces jeux de la mi-journée sont regardés par des publics assez spécifiques, plutôt ruraux et surtout âgés. Il est beaucoup plus difficile pour les chaînes d’attirer les jeunes avec des jeux.

L’irruption des smartphones a -t-elle modifié la donne ? 

On peut proposer aux téléspectateurs de répondre aux questions posées par l’animateur par le biais d’une application mobile. France Télévisions a par exemple tenté l’expérience avec Seriez-vous un bon expert ? (2011-2013) présenté par Julien Courbet ou Seul contre tous, présenté par Nagui et inspiré d’une émission danoise All against 1. Mais ces émissions n’ont pas vraiment trouvé leur public et ont été stoppées.

Il est vrai que les progrès de l’interactivité ne sont pas flagrants dans ce type de formules. Dans les années 50, le jeu-fiction « Les Cinq dernières minutes » permettait aux téléspectateurs d’influer sur le cours d’une histoire. Leurs interventions téléphoniques amenaient les acteurs à rejouer des scènes dans lesquelles se trouvaient les indices de l’énigme policière !

Voyez-vous germer de nouveaux modèles d’interactivité ?

Il y a beaucoup d’expérimentations sans qu’on sache encore ce qui va en sortir. On peut citer l’application d’Arthur, We are TV, conçue sur le modèle de Pokemon Go et lancée en 2017. Le téléspectateur ne joue pas dans la rue comme pour Pokemon Go. Il tire avec son smartphone sur des personnages virtuels qui apparaissent dans les émissions de télévision ! C’est une idée originale, mais qui n’a pas, là encore, trouvé son public. Les technologies ne sont probablement pas encore mûres.

Aujourd’hui, il semble que les jeux sur smartphone viennent plutôt concurrencer les jeux télévisés. En octobre 2017, la société HQ Trivia a ainsi lancé un jeu de questions-réponses sur smartphone qui a bien marché d’abord aux États-Unis, et a inspiré QUIDOL, une application similaire lancée début 2018 en France. Au lieu de se retrouver à heure fixe sur son canapé, face à la télévision, le joueur peut participer à plusieurs sessions du jeu chaque jour, où qu’il se trouve, chez lui, dans le bus ou dans un parc. Il y a un animateur qui pose des questions, face caméra, via le smartphone et le joueur lui répond à travers l’application.

La réalité augmentée est-elle prometteuse pour les jeux télévisés ?

Les solutions de réalité augmentée permettent aux téléspectateurs de s’immerger, grâce à des casques, dans le monde qu’ils regardent à la télévision. On peut leur donner l’impression par exemple, de se trouver dans une loge VIP d’un stade de foot, ou dans un site archéologique... Ces programmes nécessitent de développer des équipements adaptés et des contenus à forte valeur ajoutée, ils coûtent donc cher à fabriquer mais sont prometteurs. Plusieurs expérimentations autour de ces programmes enrichis sont d’ailleurs en cours menées par TFI, France Télévisions et Arte, dans les domaines de la culture et du sport.


Laurence Leveneur

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Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Laurence Leveneur est membre de l’Institut du droit de l’espace, des territoires, de la culture et de la communication (IDETCOM) et enseigne à l’IUT de Rodez. Elle a publié « Les jeux télévisés face à la convergence numérique : de l'écran à l'interface ludique ? », in « D'un écran à l'autre : les mutations du spectateur » INA / L'Harmattan, 2016.

Ses recherches portent également sur le fonctionnement des réseaux sociaux. À ce titre, elle organise le séminaire de recherche COMUИ consacré à l’étude des commentaires sur Internet.





Contrer les plateformes vidéo

Les chaines de télévision utilisent de plus en plus les réseaux sociaux, et développent une nouvelle offre face à Netflix, Youtube et Dailymotion.



La réalité augmentée, un marché aux perspectives XXL

L’industrie de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée, en pleine croissance, devrait peser 15 M d’€ en Europe à horizon 2020 avec des répercussions importantes dans le domaine de la télévision*. Selon le magazine Stratégies, TF1 teste notamment de nouvelles formules. Premier objectif : permettre aux annonceurs d’insérer des publicités, sans que le téléspectateur soit prévenu, dans l’environnement des personnages de la série « Demain nous appartient ». 
*Étude Ecorys Brussels et agence française pour le jeu vidéo.



Pour aller plus loin

"Les maîtres des jeux télé", documentaire France 5, décembre 2019

 


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