#TouchePasAmaCroix : analyse d'une polémique
Loin des controverses, le juriste Mathieu Touzeil-Divina donne des clés pour comprendre les réactions qui ont enflammé l’opinion suite aux récentes interdictions de croix dans l’espace public. Il assume une position tranchée en matière de laïcité. Tribune.
Photo

#TouchePasAmaCroix, #MontreTaCroix, #DefendsTaCroix… En quelques semaines, des hashtags un peu inattendus ont fleuri sur les réseaux sociaux en réaction à deux décisions récentes, et donc controversées, du Conseil d’État.

La première concernait la légitimité – ou non – d’une croix sur le portail d’un cimetière communal dans la Vienne. La seconde, l’autorisation – ou non – d’ériger une croix au sommet d’un monument construit en hommage au pape Jean-Paul II dans le village de Ploërmel en Bretagne. Dans ce dernier cas, la décision du Conseil d’État a ordonné le retrait de la croix.

Quelle place accorder aux symboles religieux – en lien ou non avec la mort – dans notre espace public ? Deux courants s’opposent, parfois avec force, dans notre société : la laïcité d’un côté, la tradition de l’autre.

La laïcité consiste à prôner la neutralité dans l’espace public, tandis que la tradition privilégie à priori le maintien des symboles religieux, catholiques pour la plupart.

Photo
Photo
Si la loi de 1905 (actant la séparation des Églises et de l’État) donne des clés sur cette question, il faut sans doute d’abord se demander pourquoi ce sujet, ancien, enflamme aujourd’hui à nouveau les esprits ? Combien de croix ornent l’entrée des quelque 43 000 cimetières recensés en France ? Combien de calvaires croise-t-on sur les bords de route ?

Pendant cent vingt ans, la question n’a soulevé que peu de problèmes. Aujourd’hui, cependant, on peut voir dans ce sujet qui irrite notre société mondialisée la manifestation des multiples identités culturelles, religieuses et nationales coexistant au sein du pays.

Au passage, soulignons même un paradoxe concernant la religion catholique romaine. Bien qu’en perte d’influence, elle apparaît, étonnamment, de plus en plus conflictuelle. Sans doute parce que notre société est désormais confrontée à l’émergence et à la diffusion d’autres religions plus présentes.

Croix ou pas croix

Concernant la place à accorder aux symboles religieux dans l’espace public, il convient de rappeler l’article 28 de la loi de 1905. Précis, ce texte ne laisse la place à aucune obscurité. Il indique qu’ « il est interdit à l’avenir d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

L’article 28 dit que l’on est conscient de notre histoire catholique ou chrétienne, et qu’il ne s’agit en aucun cas de la renier. Il ne dit pas que l’on supprimera les croix déjà existantes et précise que l’on fait ce que l’on veut dans l’espace privé, mais que « l’on n’élève pas et n’appose pas dans l’espace public ». Il pose donc le cadre avec quatre exceptions de lieux dans lesquels sont tolérées les expressions religieuses.

Ce texte de loi n’a pas empêché les récentes controverses et a obligé le Conseil d’État à rendre un avis en juillet 2017.

À propos de la croix à l’entrée du cimetière vendéen, le Conseil d’État a rappelé qu’un cimetière est une dépendance du domaine public et neutre de la commune, et que la loi de 1905 réserve uniquement la possibilité d’apposer des signes ou emblèmes religieux sur les terrains de sépulture, les monuments funéraires et les édifices servant au culte, à l’exclusion d’autres endroits. Pour le Conseil d’État, si la croix à l’entrée du cimetière préexiste à la loi de 1905, elle reste légale. Si, en revanche, une nouvelle croix fait son apparition, elle ne l’est pas.

Pour ce qui concerne la nouvelle croix au-dessus de la statue de Jean-Paul II en Bretagne, elle n’entre pour sa part dans aucun des quatre cas de figure de l’article 28 et doit donc tomber, selon le Conseil.

À titre personnel, en tant que citoyen, en tant que juriste, mais aussi en tant que croyant, cette lecture de la loi me convient. Je ne suis pas favorable à casser ce qui existait avant 1905 et j’entends le pragmatisme du Conseil d’État qui consiste à prendre en compte les exceptions prévues par la loi.

En revanche, je ne suis pas favorable à une multiplication des exceptions, qui équivaudrait selon moi à la dilution du principe de laïcité, comme cela a été le cas par ailleurs au sujet des crèches de Noël [voir vidéo]. J’assume une laïcité « tranchée », « nette » et non une laïcité « latitudinaire ».


Mathieu Touzeil-Divina

Photo
Photo
Professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole et membre de l’Institut Maurice Hauriou, lauréat de l’Institut de France dans le cadre de ses travaux doctoraux, Mathieu Touzeil-Divina consacre aujourd’hui ses recherches comme ses enseignements au droit et aux contentieux administratifs et à l’histoire du droit public.


 

Quelques publications récentes de Mathieu Touzeil-Divina

Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité, codirigé avec le professeur Esteve-Bellebeau, L’Harmattan, 2017.

Laïcité latitudinaire, Recueil Dalloz, octobre 2011.

Trois sermons contentieux pour le jour de Noël : la Laïcité et le juge administratif : à propos de l’exposition de crèches de Noël par des personnes publiques, La Semaine Juridique, juin 2015.


 

Crèches de noël : symboles religieux ou culturels ?

Grégory Kalflèche et Mathieu Touzeil-Divina, spécialistes de droit public, respectivement codirecteur et membre de l’Institut Maurice Hauriou, confrontent leurs points de vue.




En appuyant sur le bouton "j'accepte" vous nous autorisez à déposer des cookies afin de mesurer l'audience de notre site. Ces données sont à notre seul usage et ne sont pas communiquées.
Consultez notre politique relative aux cookies