Aujourd’hui fonctionnaires, demain tous contractuels ?
Interview d'Isabelle Desbarats
La loi de transformation de la fonction publique votée en août 2019 modifie les règles du recrutement des agents. Faut-il s’attendre à des changements majeurs ou bien à une lente évolution du système ? Analyse d’Isabelle Desbarats.
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Comprendre pour entreprendre : Vous organisez avec deux de vos collègues, Pierre Espuglas et Mathieu Touzeil-Divina, un cycle de conférences sur la transformation de la fonction publique. Dans quel but ?

Isabelle Desbarats : Je suis professeur de droit privé, spécialisée en droit social, Pierre Espuglas et Mathieu Touzeil-Divina, sont professeurs de droit public. À travers ce cycle de conférences, nous portons un double regard public/privé sur cette loi, avec en filigrane, l’idée que se confirme un rapprochement entre droit du travail et droit de la fonction publique. Nous analysons les impacts et enjeux de cette loi, tant du point de vue de l’évolution des contrats, que de la gestion RH des agents, ou de l’évolution du dialogue social… La dernière conférence du cycle aura lieu le 21 janvier prochain.

Que va changer cette loi pour les fonctionnaires ?

L’objectif assumé du gouvernement à travers cette loi qui concerne 5,5 millions d’agents, œuvrant dans les trois versants de la fonction publique (d’État, hospitalière et territoriale), c’est de moderniser le statut de fonctionnaire, sans le remettre en cause. En effet, le principe selon lequel les emplois permanents doivent être assumés par des fonctionnaires, demeure.

Il y a pourtant des changements importants…

La loi prévoit un assouplissement du recrutement des agents publics, avec un recours facilité aux contrats de droit public, y compris pour les postes de direction (catégorie A). Elle prévoit aussi la création d’un nouveau type de CDD – le contrat de projet - pour des missions spécifiques d’un à six ans pour les trois catégories, sans que les agents

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ne soient embauchés automatiquement en CDI, ni titularisés à l’issue de ces contrats, mais avec l’octroi possible d’une indemnité spécifique en cas de rupture anticipée. D’un point de vue juridique, cette loi s’inspire donc de dispositifs qui existent dans le secteur privé, c’est pourquoi nous disons qu’elle renforce un phénomène de « travaillisation » du secteur public.

Cette loi va-elle faciliter la mobilité des agents ?

C’est en tout cas l’une des idées fondamentales de cette réforme. Il s’agit de permettre aux agents publics de disposer de plus larges marges de manœuvre dans le déroulement de leur carrière en facilitant les mobilités inter fonctions publiques et extra fonctions publiques.

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La loi est aussi censée donner plus d’outils de gestion opérationnelle RH aux managers. Elle instaure pour cela des règles qui garantissent la portabilité des droits acquis sur le compte personnel de formation (CPF), y compris pour partir dans le privé, ainsi qu’un dispositif de rupture conventionnelle, aligné sur celui prévu par le code du travail. Il va s’appliquer dès le 1er janvier 2020 aux contractuels en CDI et aux fonctionnaires pour une période test de 5 ans.

En quoi cette loi impacte-t-elle le dialogue social dans le public ?

Elle réduit le champ d’intervention des commissions administratives paritaires (CAP) dans la fonction publique. Jusqu’à présent, celles-ci étaient consultées en matière de mobilité et de mutation des agents, désormais elles ne le seront plus que pour les décisions les plus graves en matière de discipline par exemple. C’est une autre façon de donner plus de manœuvre aux employeurs publics.

Cette loi sonne-t-elle une révolution ? La fin des fonctionnaires à vie ?

Cette question de la fin des fonctionnaires à vie n’est pas nouvelle. Est-ce que cette loi opère une grande rupture, ou s’inscrit-elle simplement dans une logique qui est déjà à l’œuvre depuis plusieurs années ? Je rappelle qu’actuellement près de 900 000 agents -soit 18 % de l’effectif total des trois versants- sont déjà sous statut contractuel par le biais de contrats de droit public. Par ailleurs, certains agents bénéficient de contrats aidés de droit privé, conclus avec des collectivités publiques.

Quelle évolution vous semble la plus probable ?

Demain il y aura donc d’un côté des fonctionnaires et de l’autre, un recrutement facilité d’agents, bénéficiant d’un contrat de droit public, mais fortement inspiré du droit du travail. En réalité, les agents de la fonction publique ont déjà un statut hybride entre droit public et droit privé et cela va perdurer avec la loi.


Isabelle Desbarats

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Professeur des universités, spécialiste de droit privé et rattachée au Centre de Droit des Affaires de l’Université Toulouse Capitole, Isabelle Desbarats est responsable du Master 2 en droit social, parcours droit et sciences du travail européen. Elle s’est intéressée récemment au recrutement à l’ère de l’intelligence artificielle (Le recrutement à l’ère de l’IA : l’éthique au secours du droit ?, Revue Lamy de Droit des Affaires, 1er novembre2019)




La fonction publique en deux chiffres

5,5 millions d’agents (fonction publique d’État, territoriale et hospitalière)

900 000 contractuels parmi ces agents, soit un sur six (auxquels il convient d’ajouter quelque 100 000 emplois aidés)




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