E-liquides pour cigarettes électroniques, huiles essentielles, crèmes hydratantes, gélules, chocolat vegan ou vin rosé… Les gouvernements de nos pays occidentaux sont confrontés à l’explosion de la consommation des produits contenant du CBD, appelé également cannabidiol. Il s’agit de l’un des composés actifs du cannabis, connu pour son action relaxante, mais dépourvu d’effet psychotrope (voir encadré 1).
En France, on trouve désormais ces articles en vente libre dans de nombreuses boutiques. Si la production, la détention et l’emploi du cannabis restent interdits, une dérogation permet, en effet, l’utilisation de la plante à des fins industrielles et commerciales, et la vente de certains produits à base de CBD est donc autorisée. Mais les restrictions sont nombreuses : ils doivent contenir moins de 0,2 % de THC et être élaborés seulement à partir de certaines plantes.

La législation pourrait cependant évoluer vers une simplification, car le 19 novembre dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé illégal un cas précis d’interdiction de commercialisation du cannabidiol, soulignant que cette molécule n’avait « pas d’effet nocif sur la santé humaine » démontré (voir encadré 2).
Opportunité d’étude en Italie
En réalité, le CBD a beau être au cœur des débats, on en sait très peu sur l’impact de sa libéralisation. C’est tout l’intérêt des recherches menées par Leonardo Madio en Italie, où des boutiques vendant du cannabidiol se sont multipliées dès 2017.
« Le gouvernement italien a voulu stimuler la production du chanvre pour l’industrie. Mais en voulant réguler sa commercialisation, il a oublié certains détails. Résultat, la commercialisation de la plante n’était plus illégale, pour autant qu’elle n’ait pas d’effet psychotrope (0,2 % à 0,6 % de THC maximum). Le produit est donc devenu disponible en mai 2017. Ce marché inhabituel constituait un terrain d’expérimentation naturel. Il nous a permis d’étudier les retombées de la vente du CBD sur le trafic de drogue et aussi sur l’auto-médication », explique-t-il.
Leonardo Madio, accompagné de deux autres chercheurs, a pu, notamment analyser l’impact de la légalisation du CBD sur l’activité du trafic de cannabis dans la rue, mais aussi sur les ventes de médicaments comme les opioïdes, les anxiolytiques, les anti-dépresseurs, les anti-psychotiques, les sédatifs, et les anti-épileptiques.
90 à 170 millions d’euros de revenus en moins pour le crime organisé La première étude montre que, lorsque le CBD est disponible sur le marché (via la présence de boutiques), le nombre d’opérations de police liées au trafic de cannabis diminue sur la même aire géographique. « Nous avons noté une baisse des perquisitions et des arrestations liées au cannabis de l’ordre de 12 à 14 %. C’est la preuve que le CBD en vente libre peut être utilisé comme produit de substitution au cannabis vendu illégalement, et donc qu’il constitue un moyen de faire régresser le crime organisé », explique le chercheur. D’après des estimations, cette baisse du trafic génère la perte de 90 à 170 millions d’euros de revenus par an pour les trafiquants. Un enjeu colossal, sachant que la marijuana est la drogue illicite la plus consommée d’Europe.

Partant de l’hypothèse, non prouvée scientifiquement (mais issue des témoignages des utilisateurs), que le CBD provoque un effet relaxant, comparable à celui des antidépresseurs et des anxiolytiques, les chercheurs ont montré, dans leur deuxième étude, que ce cannabidiol pouvait également être considéré comme un substitut à ces médicaments.
« Nous avons montré une réduction significative du nombre de prescriptions au niveau local, en particulier pour les anxiolytiques et les sédatifs, mais aussi pour les antidépresseurs et les opioïdes ». 1 % d’ordonnances en moins pour les opioïdes et jusqu’à 10 à 12 % pour les anxiolytiques et les sédatifs, précise Leonardo Madio. « Il est logique de penser que ces 12 % de clients en moins dans les pharmacies ont acheté un autre produit, probablement du CBD. Sans compter l’effet d’opportunité possible pour d’autres utilisateurs », ajoute le chercheur. En Italie, on dénombre désormais plus de 2000 points de vente de CBD, chez des buralistes, dans des machines ou dans des parapharmacies, sous forme de cristaux ou de liquide. Il est même possible de se faire livrer du cannabidiol à domicile.
Ces impacts positifs démontrés contribueront-ils à rassurer les législateurs ? Des discussions sont en cours pour faire évoluer la législation française, et un texte européen est également en préparation. De son côté, Leonardo Madio aimerait poursuivre ses recherches sur ce marché florissant, à l’heure où le débat sur la légalisation du cannabis thérapeutique agite de nombreux pays.