Crèches de Noël : symbole religieux ou élément de la culture française ?
Exposer des santons de Provence dans le hall d’une mairie, est-il contraire à la laïcité ? Le débat a enflammé les esprits l’hiver dernier, avant que le Conseil d’État ne tranche. Grégory Kalflèche rappelle la subtilité de cette décision et ses conséquences pratiques.
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Comprendre pour Entreprendre : Quelle est la décision prise par le Conseil d’État l’année dernière concernant l’installation de crèches de Noël dans les espaces publics ?

Grégory Kalflèche :
Le Conseil d’État a reconnu la double nature des crèches et refuse de faire un choix tranché, ce qui n’était pas le cas des juges administratifs précédents. Les uns (comme le tribunal d’Amiens en 2010) voyaient dans la crèche un symbole religieux qu’il fallait interdire ; les autres acceptaient de reconnaître un symbole ayant perdu son caractère religieux et insistaient sur l’aspect plus culturel que cultuel de ces expositions. Le Conseil d’État a donné un avis plus nuancé, qui envisage les différentes situations dans lesquelles les crèches peuvent être exposées et crée notamment une distinction entre bâtiments publics et autres lieux.

Quelles sont les différentes situations envisagées dans cette décision ?

Le Conseil d’État distingue d’une part les « bâtiments publics », dans lesquels il y a présomption d’interdiction, et d’autre part les autres endroits. Il ne précise pas ce qu’est un bâtiment public, mais, si l’on s’en réfère au droit de l’urbanisme, on sait qu’un bâtiment public est clos. Ainsi par exemple, un hall de gare ouvert, n’entre pas, à priori, dans cette catégorie.
Il décline ensuite des critères permettant de distinguer les situations particulières dans lesquelles on peut autoriser la présence d’une crèche si on lui reconnaît un caractère culturel, artistique ou festif.
Ainsi par exemple, une crèche pourra être qualifiée d’artistique si elle est réalisée par un artiste très connu. De même, une exposition montrant différentes crèches pourrait avoir un caractère culturel ; quant au caractère festif, il s’applique à une crèche disposée comme un élément décoratif, au milieu d’autres éléments et symboles de Noël.

Quelle est la particularité de cette décision ?

Elle est assez habile car elle permet de nuancer les situations, avec une autorisation de principe. Ainsi par exemple il sera possible d’installer une crèche sur une place publique si elle figure parmi d’autres représentations de Noël en lien avec le caractère festif des fêtes de fin d’année.
En revanche, l’installation de crèches seules ou d’éléments représentant uniquement la religion catholique dans une commune, pourrait constituer un acte de prosélytisme. Il me semble intéressant d’analyser le caractère festif, culturel, dans le premier cas, et l’absence de ces caractéristiques dans le second cas.
Enfin, l’instauration de la distinction entre le dedans et le dehors est originale et non prévue par le texte de 1905 [qui actait la séparation des Églises et de l’État, ndlr].

Depuis lors, plusieurs jugements administratifs ont montré que la position du Conseil d’État laissait pourtant une marge de manœuvre importante. De quelle manière ?

Le Conseil d’État distingue trois éléments à analyser : tout d’abord, le contexte de l’installation de la crèche ; ensuite, les conditions particulières de son installation ; et enfin, la question des usages, des habitudes locales. Ce dernier point est important parce qu’il peut servir à démontrer le caractère culturel de certaines crèches.

D’ailleurs, tous les tribunaux administratifs qui ont eu à connaître des recours contre les crèches ont apporté des éléments relatifs à l’existence d’une tradition. Ainsi, le tribunal de Lyon a précisé dans ses deux jugements du 5 octobre 2017 qu’il n’existait aucun usage local puisqu’ « aucune crèche de Noël n’avait jamais été installée dans les locaux du siège lyonnais de la région Auvergne-Rhône-Alpes».

Autre exemple avec le jugement du tribunal administratif de Lille rendu le 30 novembre 2016, à propos de la crèche installée dans l’hôtel de ville d’Hénin-Beaumont. Il indique qu’ « il n’est pas établi que cette installation s’enracine dans une tradition locale préexistante ou qu’elle puisse être considérée comme une extension du marché de Noël qui se tient à l’extérieur du bâtiment ».

À l’inverse, la crèche installée chaque année depuis plus de vingt ans durant la période de Noël dans le hall de l’hôtel de département de la Vendée a conduit le tribunal de Nantes à ne pas annuler la décision du président du Conseil général d’installer, encore une fois, une crèche dans l’enceinte du bâtiment public.

Que pensez-vous de cette position ?

Je trouve que le Conseil d’État a retenu une solution apaisée à travers une décision nuancée et pesée, fondée sur une double appréciation laïque et religieuse des crèches. Par ailleurs, ces arrêts ont aussi comme principale qualité de mettre en place des critères relativement précis et d’encadrer l’appréciation des situations dans lesquelles les crèches sont implantées.



Grégory Kalflèche

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Agrégé des facultés de droit, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole, et codirecteur de l’Institut Maurice Hauriou. Au sein de ce laboratoire de recherche en droit de l’université, Grégory Kalflèche concentre ses recherches sur le droit patrimonial public.



Publications

« Les crèches : entre symbole religieux et culture laïque », in : La laïcité à l’œuvre et à l’épreuve, sous la direction de Hiam Mouannès, publié par l’Institut Fédératif de Recherche en Droit, à paraître en décembre 2017.


Crèches de noël : symboles religieux ou culturels ?

Grégory Kalflèche et Mathieu Touzeil-Divina, spécialistes de droit public, respectivement codirecteur et membre de l’Institut Maurice Hauriou, confrontent leurs points de vue.






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