E-santé : de nouvelles règles pour empêcher les dérives
Diagnostics assistés, patients connectés, assureurs informés, le système de santé est en pleine révolution. Comment encadrer juridiquement ces nouvelles pratiques ? C’est le thème de recherche d’Isabelle Poirot-Mazères, organisatrice d’un colloque sur le sujet en septembre 2017.
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Le numérique bouleverse les termes de la relation médicale, les pratiques professionnelles et l’organisation du système de santé. D’un point de vue juridique, la première question qui se pose face à ces évolutions est : quelle régulation et quelle réglementation ? C’est en effet à l’Etat et aux puissances publiques nationales et européennes de forger les politiques publiques permettant de porter l’innovation tout en sécurisant les relations entre industriels, patients et professionnels de santé. Tout ceci suppose qu’il y ait un encadrement juridique. Pourtant, si d’ores et déjà, des règles existent, leur application ne va pas toujours de soi.
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Parmi l’arsenal juridique déjà en place, on peut citer, entre autres, la loi Informatique et Libertés et le nouveau règlement européen d’avril 2016 sur la protection des données, qui définit - enfin - la donnée de santé à caractère personnel. Citons aussi la loi Touraine dont certaines dispositions concernent directement le Big data et l’open data en santé. Au niveau européen, comme dans le code français de la santé publique, le régime juridique des dispositifs médicaux est clairement fixé. Il doit s’appliquer aux nouveaux objets connectés communicants (de l’application de santé mobile aux capteurs corporels) au moment de leur mise sur le marché. L’application de ce régime juridique est en effet l’unique garantie de sécurité pour les utilisateurs.

Nécessité de vigilance

Parmi les points qui appellent à une vigilance particulière, on peut évoquer tous les dispositifs d’aide au diagnostic et à la décision qui modifient déjà profondément les pratiques. Les médecins utilisent de plus en plus d’applications et de logiciels faisant appel à l’intelligence artificielle (Watson d’IBM est l’un des plus connus). Ces outils conduisent à questionner les marges d’appréciation laissées aux médecins.

Côté patients, les comportements ont aussi changé. Les patients sont nombreux aujourd’hui à utiliser des objets connectés, applications ou plateformes sur lesquelles ils transmettent des données, sans mesurer toujours les risques encourus pour la protection de leur vie privée. À bien des égards, l’intérêt de ces nouveaux outils est évident. Ils permettent d’améliorer le suivi des patients à domicile en cas de suite opératoire ou de maladie chronique, réduisant ainsi les durées d’hospitalisation... Ils fluidifient les parcours de soins et permettent d’éviter les ruptures en cas de manque d’information.

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Mais l’utilisation de ces outils pose les questions du partage de l’information et de la confidentialité des données personnelles. La loi Touraine définit le cadre de l’exercice de ce que l’on appelle « le secret partagé » dans une sorte de sphère qui permet à l’information de circuler au sein de l’équipe de soins. Mais les pratiques quotidiennes des soignants posent parfois problème. Certains médecins utilisent leur smartphone personnel pour partager des informations ou des photos à propos d’un diagnostic patient. Ce qui menace le secret médical. La seule solution juridiquement acceptable serait d’utiliser systématiquement des messageries sécurisées et de toujours transférer ce type de mail dans le dossier médical des patients, pour éviter que la responsabilité du médecin ne soit engagée.

Soft Law

Autre sujet incontournable, l’impact du Big Data. Dans notre système de santé centré sur le curatif (il faut soigner !), l’Open et le Big Data permettent de brasser des données épidémiologiques qui donnent tous les espoirs pour agir en préventif sur les grandes épidémies ou les maladies chroniques. L’ouverture des données de santé va permettre de construire des politiques publiques plus efficaces, de donner enfin à la prévention toute sa place et sans doute de rationaliser les dépenses.  La maîtrise des données est aussi la clé pour arriver à mettre en place de la médecine personnalisée ou « stratifiée » grâce au séquençage à haut débit de l’ADN. Il s’agit de ne pas prendre de retard dans ce qui est une véritable compétition internationale, Google, Apple, Amazon ou Facebook s’intéressant déjà au secteur de la médecine génomique.

En bref, si des cadres juridiques existent désormais, il importe de rester vigilant sur le respect de la vie privée des patients, de veiller à développer un suivi des dispositifs médicaux connectés et de se pencher sur la responsabilité des soignants. Dans ce contexte, certaines voix du monde médical plaident pour la mise en œuvre de règles souples (soft law) qui permettraient une meilleure adaptation aux innovations technologiques. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins est par ailleurs en train de reconfigurer le code de déontologie médicale afin de proposer aux médecins un vademecum de bonnes pratiques professionnelles appliquées au numérique.

 

Isabelle Poirot-Mazères

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Professeur des universités en droit public, membre de l’Institut Maurice Hauriou, Isabelle Poirot-Mazères consacre ses recherches comme ses enseignements aux questions de droit de la santé et de droit médical, singulièrement dans leurs confrontations aux nouvelles technologies.

Directrice adjointe de l’Institut Fédératif d’Etudes et de Recherches Interdisciplinaires Santé Société, elle a organisé les 7 et 8 septembre derniers à Toulouse le colloque « Santé, numérique et droit(s) : quelles équations ? E-Santé : vigilances sur le futur. »

Isabelle Poirot-Mazères dirige le Master 2 Droit de la santé et protection sociale.
 




Quelques publications récentes

Les maladies rares, une voie pour la santé de demain, co-dirigé avec Paul Gimenès, LEH, 2015

 

« L’organisation et la gestion des établissements publics de santé à l’épreuve de la médecine personnalisée », JML Droit, Santé, Société, 2015

« Dispositifs médicaux et technologies médicales innovantes »,  in Technologies médicales innovantes et protection des droits fondamentaux des patients, 2017, Ed. Mare et Martin


Pour aller plus loin

Livre blanc : De la e-santé à la santé connectée , publié par le Conseil National de l’Ordre des Médecins

Le règlement européen de protection des données définit ce qu’est une donnée de santé, il pose les questions de l’encadrement du dossier médical partagé et de l’hébergement des données.

Big Data en santé, un dossier d’information publié par l’INSERM


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