L'an 1 des class actions
Répandues aux États-Unis depuis plus d’un demi-siècle, les actions de groupe en justice viennent d’entrer dans le droit français, avec la "Loi Consommation". Décryptage de la procédure "à la française".
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Les class actions permettent depuis les années 1930, aux Etats-Unis, à un groupe de personnes victimes du même préjudice, de poursuivre ensemble une entreprise ou une institution pour obtenir une indemnisation. Elles se sont développées dans le domaine boursier, avant de s'étendre dans le secteur sanitaire (contre les fabricants de tabac), à l’encontre de sociétés d’assurance, sur les questions de discrimination sexuelle et raciale, puis dans la consommation quotidienne. La marque de shampoing Organic a par exemple été condamnée dans ce cadre pour publicité mensongère, car le produit n’avait rien de "bio" ; et Ferrero a dû rembourser 4 € par pot de Nutella acheté entre 2008 et 2012, pour n’avoir pas informé ses consommateurs de la quantité de lipides qu'ils contenaient…
Le 13 février 2014, après 10 ans de discussions, un système d’actions de groupe a été adopté par le Parlement français, dans le cadre de la "Loi Consommation". Les consommateurs peuvent désormais intenter des actions de groupe, en passant par une des 15 associations de consommateurs agréées, s'ils ont subi un préjudice matériel, lié par exemple à une clause abusive dans un contrat bancaire ou à une pièce défectueuse d’un lave-vaisselle.


L’adoption de cette loi, introduite avant tout dans un but dissuasif,
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renforce leur pouvoir face aux pratiques abusives, frauduleuses ou anticoncurrentielles des entreprises. Jusqu'ici, seules les procédures individuelles étaient recevables.
"Je suis très favorable à cette évolution, au regard des très nombreux contentieux que les consommateurs abandonnent actuellement, en raison de la durée et du coût des procédures. Nous avons tous expérimenté par exemple le cas de la compagnie aérienne, qui vous demande un supplément bagage déjà payé sur Internet. Les class actions vont permettre de mettre fin à beaucoup de tracasseries quotidiennes", affirme Cécile Le Gallou, maître de conférences en droit privé, spécialiste des class actions en droit américain.
 
Des différences de taille par rapport au système américain

 
Les actions collectives ont mis beaucoup de temps à être intégrées au droit français, en raison de la peur suscitée par les class actions à l’américaine. "Il y a une méconnaissance du fonctionnement global du droit américain. Les dérives observées là-bas, notamment le comportement malhonnête de certains avocats qui s’entendent en coulisse sur le montant de leurs honoraires au détriment du dédommagement de leurs clients, ont été cadrées. En France, seules les associations de consommateurs auront la possibilité d’agir. Et les avocats français sont, de toute façons, soumis à une déontologie beaucoup plus stricte que leurs confrères américains".
Pour la spécialiste, la nouvelle procédure adoptée possède uniquement des avantages. "Les class action pousseront sans doute les entreprises à évoluer en termes de marketing et de techniques de vente. Cela évitera beaucoup de clauses abusives et de concurrence déloyale".
Cécile Le Gallou démonte deux idées reçues. "On assimile les class actions aux dommages et intérêts punitifs, alors qu’en France, l’indemnisation est calquée sur le préjudice. Les entreprises n’ont donc aucune crainte d’être condamnées à des sommes exorbitantes. Même aux Etats-Unis, les dommages et intérêts punitifs sont plafonnés", affirme la spécialiste.
Parmi les critiques formulées à l’encontre des class actions, on entend aussi qu'elles constitueraient un frein pour l’innovation et un danger pour la réputation des entreprises. Une perception très française, selon Cécile Le Gallou. "Aux Etats-Unis, on considère les class actions comme un moyen d’avoir une économie plus performante, d'évacuer les brebis galeuses". Pour elle, les procédures collectives représentent un moyen d’assainir la concurrence, par exemple chez les opérateurs de téléphonie, et d’ajouter de l’éthique dans les comportements. "En introduisant du droit, on restaure la confiance. Les entreprises ont tout à y gagner".
Le ministre délégué à la consommation Benoît Hamon a promis d’étendre le champ des actions de groupe aux questions sanitaires et environnementales. Un chantier qui s'annonce juridiquement plus compliqué, car les dommages dans ces domaines sont difficiles à évaluer et peu homogènes.

 

Cécile Le Gallou

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Maître de conférences en droit privé, spécialiste du droit anglo-saxon, et notamment des class actions dans le droit américain, Cécile Le Gallou est co-responsable des Masters 2 "Juriste international" et "International Business Lawyer". Elle a notamment publié en 2012 "Droit des sûretés et droit des procédures collectives", chez Larcier-Bruylant. Elle assure une chronique bi-annuelle de droit anglo-saxon à la Revue Lamy Droit Civil.

Modèle anglo-saxon, modèle latin


Aux Etats-Unis, les cours fédérales ont traité 6300 class actions en 2012. En Italie, sur 23 actions menées depuis 2008, une seule est allée jusqu’au jugement, 11 ont été rejetées et 11 ont donné lieu à des transactions.

Des cas américains emblématiques


La Pacific Gas & Electric Company doit dédommager en 1993 les victimes californiennes d’une pollution de l’eau potable à hauteur de 333 millions de dollars.
Exxon Mobil est reconnu responsable de la marée noire engendrée par le naufrage de l’Exxon Valdes en 1989. La société doit débourser 3,4 milliards de dollars pour le nettoyage des côtes et le dédommagement des habitants.
Les actionnaires minoritaires de Vivendi reprochent à son PDG Jean-Marie Messier d’avoir caché les difficultés de l’entreprise en 2002. Ils obtiennent 9 milliards de dollars de dédommagement.

"Opt out" versus "opt in"


Aux Etats-Unis, une fois un accord établi, un consommateur ne peut plus se déclarer pour revendiquer ses droits (c'est le "opt-out"). Dans la procédure française, le consommateur pourra porter plainte même s’il ne s’est pas joint au départ à l’action de groupe (c'est le "opt-in").
 

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