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Les agriculteurs vivent de la vente de leurs produits. Mais ils jouent aussi un rôle majeur dans la préservation de certains mécanismes naturels et pourraient être rémunérés en conséquence. Encore faut-il qualifier juridiquement ces services. Carole Hermon débroussaille le problème.
1 mars 2017
Comprendre pour entreprendre : En quoi les agriculteurs jouent-ils un rôle singulier en matière d’environnement ?
Carole Hermon : Les services écosystémiques sont les services rendus par l’environnement à l’homme. Les insectes pollinisent les cultures, les arbres émettent de l’oxygène et servent de pièges à carbone. Certaines pratiques agricoles peuvent contribuer à préserver ces services, voire même les restaurer. D’autres au contraire leur portent atteinte, en éliminant les abeilles par exemple ou en détruisant les haies. Mais pour rendre compte de l’impact écologique des activités agricoles, il faut d’abord arriver à qualifier juridiquement les services fournis par l’environnement. Or, le droit peine à les prendre en compte.
Pourquoi ?
La notion juridique de service écosystémique est encore balbutiante. Elle est inscrite dans la directive européenne sur la responsabilité environnementale de 2001 (la détérioration des services écosystémiques fait partie des dommages réparables). Elle apparaît également dans le droit français, en particulier dans la Loi d’Avenir pour l’Agriculture de 2014 et la Loi Biodiversité de 2016 qui intègre la sauvegarde de ces services parmi les considérations d’intérêt général. Mais ces textes ne qualifient pas juridiquement les services écosystémiques.
Vous avez travaillé en particulier sur les services écosystémiques rendus par les sols. Pourquoi cet intérêt ?
Le sol est le parent pauvre du droit de l’environnement. Contrairement à l’eau et à l’air, le sol n’est pas protégé pour ses qualités et ses fonctions propres. Il n’est pris en compte aujourd’hui qu’en tant qu’il est support, pour le bâtiment ou l’agriculture par exemple, ou bien en tant qu’objet de propriété et donc vecteur de conflits d’usage. Le lien entre la préservation des sols et la santé humaine n’est pas posé aussi clairement que lorsque l’on traite de la qualité de l’eau ou de l’air.
Votre enjeu est donc de trouver un fondement juridique à la protection des sols ?
Pour que le droit s’occupe de protéger le sol, il faut qu’il ait un motif à le faire, soit parce qu’il en est de l’intérêt de l’homme, soit de l’intérêt de l’environnement. Nous nous sommes dit que la notion émergente de service écosystémique pourrait servir de fondement à la protection des sols. Si le sol rend des services à tous, il devient légitime de s’en préoccuper. Nous avons choisi pour notre recherche d’étudier la pratique agricole qui se préoccupe le plus de la qualité des sols, l’agriculture dite de conservation (voir ci-contre).
Comment peut-on mesurer les services rendus par les sols ?
La question relève d’abord des agronomes. Ils ont des instruments de mesure des services écosystémiques rendus par les sols, permettant par exemple d’évaluer la plus ou moins grande circulation de l’eau en leur sein, leur teneur en carbone, ou encore la biodiversité qu’ils recèlent. La question relève aussi des économistes qui peuvent évaluer ces services. Mais le droit, lui, a besoin, d’abord, de les identifier précisément pour pouvoir intervenir à bon escient.
Certains philosophes vous ont mis en garde quant à cette approche...
On nous a alertés quant au risque de tout « anthropociser », en mettant en avant l’intérêt que représente la protection de l’environnement pour l’homme, alors que cette protection peut se justifier en tant que telle. Sans écarter l’objection, nous répondons que notre approche cherche surtout à être fonctionnelle. S’il apparaît que l’approche par les services écosystémiques rendus se révèle, en droit, sans efficacité, nous l’écarterons.
Votre étude a bénéficié d’un financement IDEX. Quel est son objectif ?
Le financement IDEX, obtenu fin 2015, a permis de prolonger une recherche de l’INRA sur l’agriculture de conservation, menée avec un réseau d’agriculteurs partenaires, volontaires pour expérimenter de nouvelles pratiques de travail du sol. Une dizaine de juristes ont pu être associés à ces premières recherches. Nous avons jusqu’à fin 2018 pour étudier la notion de service écosystémique, comme levier possible pour la transition vers des pratiques agro-écologiques.
Quels sont les outils utilisables pour que les agriculteurs protègent les services écosystémiques ?
Il peut s’agir d’incitations ou de contraintes pour des pratiques plus respectueuses des sols. Je pense à la mise en place de contrats avec des personnes publiques ou privées, sous la forme d’un financement offert aux agriculteurs en échange de leurs bonnes pratiques. Ce modèle ressemble à certaines mesures de la Politique Agricole Commune, qui avaient permis de financer des réimplantations de haies ou des conversions à l’agriculture biologique. Les unités de compensation, créées par la récente loi Biodiversité, peuvent également ouvrir des perspectives. Tous les aménageurs, notamment en matière de transports, sont censés compenser leurs impacts néfastes sur l’environnement. Pour cela, ils peuvent dorénavant acheter des unités de compensation auprès d’« opérateurs de compensation », qui pourraient travailler aussi avec les agriculteurs.
Financer les services écosystémiques impose un changement de logique…
Si on finance les services écosystémiques, on pourra aider des types d’agriculture plus nombreux. Un éleveur extensif conventionnel qui contribue au maintien de prairies pourrait par exemple être soutenu, tout comme un céréalier pratiquant l’agriculture de conservation. Mais cette logique suppose de prendre en compte les résultats, d’évaluer avec précision le service écologique maintenu ou restauré. Or, jusqu’ici, les aides sont seulement versées sur la base des moyens mis en œuvre.