Et si on créait des impôts sexués ?
L’idée de taxer différemment les produits dits féminins et les produits dits masculins peut sembler saugrenue. Mais Helmuth Cremer étudie dans quelle mesure de telles pratiques pourraient rééquilibrer le pouvoir économique des hommes et des femmes.
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La controverse sur la « taxe tampon », objet des plus vifs débats en 2015, a été le point de départ de cette recherche, même si celle-ci s’inscrit dans un programme plus vaste, que mène depuis cinq ans l’économiste Helmuth Cremer.  

Les inégalités de genre trouvent souvent leur origine dans le déséquilibre que provoque la garde des enfants, constate le chercheur, qui s’intéresse aux normes sociales poussant les femmes à s’impliquer davantage dans cette garde, ainsi qu’aux politiques publiques susceptibles de compenser les inégalités qui en résultent.

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L’Etat peut, par exemple, intervenir sur les retraites, en mettant en place un système permettant d’atténuer les inégalités de revenu entre hommes et femmes, à l’issue de la vie active. Mais il peut aussi agir sur le système de taxation des produits de consommation, suggère Helmuth Cremer.

Actuellement, le système français s’appuie sur une TVA uniforme à 20%, avec des exceptions, pour les produits considérés comme de première nécessité. Pour pouvoir diminuer le taux en deçà, une dérogation de l’Europe est nécessaire. C’est ce qu’a obtenu le lobby qui prônait la réduction de cet impôt sur les protections périodiques, au motif qu’« avoir ses règles n’est pas un choix ». L’Union Européenne a retiré son verrou : désormais, les pays membres peuvent librement appliquer à ce produit, reconnu de première nécessité, un taux réduit.

Au-delà du symbole, cet exemple est-il la preuve que la taxation peut se révéler un outil efficace de redistribution, permettant de rééquilibrer les pouvoirs économiques entre hommes et femmes ? C’est la question étudiée par Helmuth Cremer et son collègue de Toulouse School of Economics, Jean-Marie Lozachmeur (en collaboration avec Kerstin Roeder de l’université d’Augsburg).

Introduire dans la taxation un élément Pigouvien

« Nous voulions étudier la taxation dans le couple. La littérature sur le sujet, abondante, repose toujours sur une vision traditionnelle, datant des années 1960 et du père de l’économie de la famille, Gary Becker. Dans ce modèle, c’est l’homme qui décide de tout, et les époux sont considérés comme ayant des préférences identiques. Nous avons souhaité partir d’un autre modèle, selon lequel les époux ont chacun leurs préférences et décident ensuite de façon conjointe », explique Helmuth Cremer.

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Dans cette conception plus moderne, le couple met en commun ses ressources et négocie sur la manière de les utiliser. Par conséquent, si la femme a un poids de négociation trop faible, elle aura moins d’argent à sa disposition pour acheter les produits dits féminins*(voir ci-contre).

Partant de là, l’économiste étudie comment introduire dans les règles de taxation des produits de consommation, un élément « pigouvien », qui rééquilibre le poids de chaque époux.

En économie de l’environnement, la taxe dite pigouvienne est une taxe destinée à amener les industriels à payer pour le coût que leur activité génère pour les autres acteurs économiques, notamment en ce qui concerne la pollution. « Nous avons formellement un problème similaire au sujet des dépenses du couple. En effet, l’entité qui prend la décision, ne tient pas compte exactement des préférences de chaque individu. Taxer différemment les produits dits masculins et dits féminins permettrait à un gouvernement, de donner le même poids aux femmes qu’aux hommes, en rééquilibrant leurs pouvoirs d’achat ».

Un nouveau rôle possible pour la TVA

Le chercheur a étudié différents cas. Selon les études empiriques sur le sujet, le poids des femmes dans la décision d’achat varie en fonction des revenus et du niveau d’études du ménage : il serait plus faible dans les couples à bas revenus, mais augmenterait ensuite à mesure que les revenus grimpent, avant de baisser de nouveau dans les couples à très hauts revenus.

L’inégalité entre hommes et femmes, due au pouvoir de négociation moindre de ces dernières dans le couple (dans la majorité des cas), est donc un argument qui peut inciter taxer moins les produits dits féminins que les masculins.

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Mais faut-il pour autant aller jusqu’à subventionner les parfums de luxe, sachant que ces produits sont surtout consommés par des couples riches ?, s’interroge Helmuth Cremer. Et pourquoi pas, dans le même ordre d’idée, taxer davantage les produits de luxe pour rééquilibrer le pouvoir d’achat entre riches et pauvres ?

« On est loin d’un tel système en France. La TVA reste surtout une machine à collecter de l’argent, alors même que les taxes pourraient être des outils intéressants pour influer sur les décisions de consommation », commente le chercheur.


Helmuth Cremer

Chercheur
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à Toulouse School of Economics (TSE), spécialisé dans l’économie publique, Helmut Cremer s’intéresse au rôle de l’Etat Providence, à l’impact des systèmes de taxation et à la conception des politiques sociales, de la régulation du système de retraite à la prise en charge de la dépendance ou aux allocations familiales.



Les biens féminins

Dans les études citées par Helmuth Cremer, les biens identifiés comme féminins sont la nourriture au restaurant, les courses du ménage, les habits féminins, les habits des enfants et la puériculture, tandis que les produits identifiés comme masculins concernent par exemple le transport, la voiture et les habits masculins.




Pour aller plus loin

Consommation : négociations inégales au sein des couples et possibilités de compensation par des impôts sexués, Helmuth Cremer et Jean-Marie Lozachmeur (TSE), en collaboration avec Kerstin Roeder (université d’Augsburg), Oxford Economic Papers, janvier 2021

Comprendre la bataille de la taxe tampon, Le Monde, novembre 2015


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