Informations : sortir de l’emprise des plateformes
En 2019, 85 % des articles de presse lus en ligne aux États-Unis ont été proposés par Google, Facebook ou Twitter. Guillaume Sire analyse l’influence croissante de ces plateformes sur le choix des informations diffusées.
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Comprendre pour entreprendre : Depuis l’apparition des plateformes comme Google, Facebook ou Twitter, la diffusion de l’information produite par les médias a profondément changé. Cela impacte-t-il le choix et la nature de ces informations ?

Guillaume Sire : Dans les années 90, le web était présenté comme un espace public sans hiérarchie, un monde dans lequel l’information était produite sans intermédiation, échangée par des internautes, à côté de sites de presse en ligne œuvrant de manière traditionnelle. La réalité d’aujourd’hui est bien différente. Toutes ces plateformes, Google, Facebook ou Twitter, traitent du contenu sans le produire ; elles sont dotées d’algorithmes qui fonctionnent à partir de la matière produite par des journalistes et jouent donc un rôle que l’on peut qualifier d’éditorial ou de méta éditorial.

Sur quels critères sont choisis les sujets mis en avant ?

Un article publié dans le New York Times en mars dernier, dans une actualité alors totalement dominée par la pandémie, dévoilait un rapport interne de Facebook expliquant comment le site attribuait des « notes » calculées par des algorithmes, à la fois aux utilisateurs (lecteurs) et aux sources d’informations (médias).

Facebook note les médias ?

Les médias se voient attribuer un indice, le NEQ (News Ecosystem Quality). Dans ce classement maison, le réseau social place en tête les journaux nationaux et les chaînes de télévision ; et relègue en fin de classement les éditeurs qu’il considère comme moins fiables, plus marginaux ou militants. Ensuite grâce à son algorithme, Facebook incite ses utilisateurs les plus influents, c’est-à-dire ceux qui publient un grand nombre de commentaires en ligne, à lire les articles les mieux notés. 

La plateforme influence les lecteurs via ces influenceurs...

On voit bien à travers cet exemple, le rôle d’intermédiation que la plateforme endosse et l’impact sur la nature des informations publiées. On se trouve à l’opposé de l’idée d’un espace sans intermédiation tel qu’apparaissait Internet à ses débuts.

Vous évoquez de possibles conflits d’intérêts entre les plateformes et les médias traditionnels, pourquoi ?

Les plateformes ne fonctionnent pas à la place des journaux mais en complément. Or ces plateformes et les journaux sont par ailleurs en concurrence sur le marché de la publicité. En effet Google, en plus d’être un moteur de recherche et un agrégateur de contenus, est aussi une régie publicitaire, dont certains médias sont partenaires, mais pas tous. À partir du moment où les plateformes choisissent de mettre en avant certaines informations ou médias plus que d’autres, on peut légitimement se poser la question d’éventuels conflits d’intérêts. Google n’a-t-il pas intérêt via son algorithme, à envoyer l’utilisateur vers les services publicitaires des médias dont il est partenaire ?

La responsabilité sociale et juridique des ingénieurs qui conçoivent les plateformes pourrait-elle être engagée ?

Cette responsabilité est prévue par la loi, on parle de la responsabilité intermédiaire des hébergeurs. Elle s’applique si une publication enfreint la loi, par exemple en cas d’apologie du terrorisme, d’incitation à la haine raciale, à la violence… En pareil cas, on ne peut pas dire que la plateforme est aussi responsable que celui qui a produit le contenu, mais on ne peut pas dire qu’il ne l’est pas du tout. À ce jour, il n’y a pas eu de jurisprudence pour un algorithme qui favoriserait telle ou telle information. Néanmoins, la responsabilité de l’hébergeur interroge. 

Existe-t-il quand même des alternatives pour redonner de l’autonomie aux médias ?

Le moyen le plus efficace serait d’obliger ou d’éduquer les gens à ne pas se rendre sur Google ou Facebook pour s’informer, mais directement sur les sites des journaux en ligne. C’est évidemment très compliqué.
Pour les médias la meilleure façon de retrouver de l’indépendance, est sans doute d’avoir un modèle économique en propre, payé par des abonnements, comme Médiapart.
On voit aussi de plus en plus de sites de presse bâtir des stratégies de contenus payants, avec une petite partie des contenus accessible gratuitement, ou bien un mois d’abonnement gratuit avant de basculer en payant.


Guillaume Sire

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Maitre de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse Capitole, Guillaume Sire est co-responsable de l’Unité Régionale de Formation à l’Information Scientifique et Technique (URFIST) et chercheur à l’Institut du Droit de l'Espace, des Territoires, de la Culture et de la Communication (IDETCOM). Il consacre notamment ses travaux de recherche à la gouvernance d’Internet et aux moteurs de recherche.




Rémunérer les reprises d’articles : enfin un accord

Après des mois de négociations tendues, un accord dit de « droits voisins » a été signé entre Google et de grands médias français, auxquels la plateforme paiera désormais les contenus qu’elle diffuse. Explications.






Pour aller plus loin

Journalisme et plateformes : de la symbiose à la dépendance, Guillaume Sire, Brigitte Sebbah et Nikos Smyrnaios, Sur le Journalisme, 2020

Dans les ramures de l’arbre hypertexte, analyse des incitations générées par l’opacité du moteur Google
, Guillaume Sire et Bernhard Rieder, French Journal for Media Research, 2015


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