Pas une ligne de la Constitution ne les mentionne, mais les collaborateurs " de l’ombre " jouent un rôle croissant auprès de nos gouvernants. Stéphane Mouton, Xavier Bioy et Jean-Michel Eymeri-Douzans leur consacrent un ouvrage instructif.
Il y encore quelques années, les membres de cabinets et autres conseillers ministériels restaient des hommes -et parfois des femmes- de l’ombre. À pas feutrés, ils évoluaient aux côtés des hommes politiques, mais restaient pour la plupart inconnus du grand public.
Une époque qui semble aujourd’hui révolue… À tous les niveaux du pouvoir, du sommet de l’État, aux antichambres des collectivités territoriales, les membres de cabinets et conseillers politiques sont mis en avant, parfois par l’exécutif lui-même ! Gaspard Gantzer, conseiller chargé des relations avec la presse, chef du pôle communication à l'Élysée, présenté comme faisant partie de la jeune garde élyséenne, fait régulièrement les couvertures de magazines et a dépoussiéré la fonction. Il avait été précédé par un certain Emmanuel Macron ex secrétaire général adjoint de l'Élysée !

Si en interne, l’opacité reste le mode de fonctionnement des cabinets, à l’extérieur, la montée en puissance et l’influence grandissante des conseillers n’ont pas échappé aux juristes Xavier Bioy et Stéphane Mouton de l’Université Toulouse Capitole et à leur collègue politiste, Jean-Michel Eymeri-Douzans, de Sciences-Po Toulouse, qui ont publié ensemble fin 2015 "
Le règne des entourages " (Presse de Sciences Po).
" Ce sujet, le pouvoir et le rôle des membres des cabinets, est régulièrement évoqué dans les médias, mais il n'avait fait l'objet d'aucun travail universitaire récent, explique Jean-Michel Eymeri-Douzans. C'est pourquoi nous avons souhaité décrire de manière détaillée les traditions et modes de fonctionnement des cabinets et réaliser le portrait sociographique de leurs membres ".
L’emprise des hauts fonctionnaires
Qui sont ces hommes et ces femmes de pouvoir ? Les hommes et les hauts fonctionnaires constituent la grande majorité des conseillers, environ 70 % des membres du sérail. La plupart sont passés par l’ENA, Polytechnique, HEC ou Sciences Po Paris.
Les femmes sont beaucoup plus rares, mais certaines, Elisabeth Guigou, Ségolène Royal, Valérie Pécresse (toutes trois énarques) ont occupé cette fonction qui leur a servi ensuite de tremplin vers des ministères.
Certains conseillers ont un profil plus politique. " Ce sont d’ex-conseillers parlementaires, ou militants engagés dans les partis politiques. Les premiers sont conseillers spéciaux, les seconds gèrent plutôt les liens avec les médias. Leur carrière diffère lors de leur départ des cabinets. Un haut fonctionnaire restera haut fonctionnaire alors qu'un conseiller en communication repartira vers un cabinet de communication d'influence ", explique Jean-Michel Eymeri-Douzans, qui estime que le cabinet est loin d’être un tremplin garanti vers un maroquin ministériel.
Si les conseillers se mettent aujourd’hui volontiers dans la lumière notamment dans les médias, en coulisses, leur mode de fonctionnement, leurs réelles responsabilités et leur pouvoir n’en restent pas moins opaques. Premier signe de cette opacité, leur nombre… Difficile à connaître.
Des effectifs pléthoriques
En France, les effectifs des cabinets ministériels n'ont cessé de croitre depuis 1958 avec des volumes multipliés par deux à partir de 1981 (417 membres dans le cabinet de Pierre Mauroy). La palme revient au gouvernement Raffarin, entre 2002 et 2005, avec un cabinet totalisant 685 personnes !
"Des chiffres qui ne tiennent compte que des effectifs officiels, c'est-à-dire nommés au Journal Officiel, mais il faut leur ajouter un tiers de personnes supplémentaires, avec des postes de chargés de mission. C’est un secret de polichinelle !", pointe Jean-Michel Eymeri-Douzans, qui estime ainsi entre 600 et 650 les effectifs réels du cabinet de Manuel Valls.
Mais c’est l’absence de statut juridique de ces conseillers, qui engendre l’opacité du système. " Cette absence de cadre pose un véritable problème, estime le constitutionnaliste Stéphane Mouton (voir interview vidéo). Ces collaborateurs se situent dans les zones d'ombre du pouvoir. Juridiquement, ils ne prennent pas de décision alors qu'ils interviennent de facto dans le processus décisionnel ! ". En cas de crise, l’absence de responsabilité juridique incite dès lors à rechercher une responsabilité pénale.
Dans leur ouvrage, les auteurs ont également cherché à savoir si cette montée en puissance des conseillers en tous genres constituait ou non une exception française. Verdict ? Ils décrivent au contraire un fonctionnement assez semblable dans la plupart des autres pays européens, ainsi qu'aux États-Unis et même dans des micro-états comme le Luxembourg, à une exception près, celle du Royaume Uni.