Liban : les fondamentaux de la révolution
Tout est parti d’un projet de taxe sur l’usage de WhatsApp. Plus d’un million et demi de Libanais sont descendus dans la rue, exigeant et obtenant la démission du gouvernement. L'organisation même du système politique doit maintenant changer. Explications de la constitutionnaliste Hiam Mouannès.
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Comprendre pour entreprendre : Depuis le 17 octobre, les Libanais se révoltent. Comment interpréter ce mouvement ?

Hiam Mouannès : Dans un contexte de grave crise économique, tout est parti de l’annonce d’une taxe sur les communications WhatsApp. Après douze jours de manifestations géantes sur tout le territoire, le Premier ministre, Saad Hariri, a dû présenter la démission de son gouvernement. Mais les Libanais, toutes générations et confessions confondues, restent vent debout contre la corruption qui gangrène le système politique et administratif. Les tentatives d’affaiblir ou de vider de son sens, ce que certains considèrent comme un simple mouvement (hirak en arabe) ont échoué. La nature pacifique de la Révolution (thawra en arabe) et la vigilance de l’armée libanaise ont permis jusqu’à fin novembre en tous cas, de résister aux intimidations et aux violences.

Qu’y a-t-il d’historique dans cette contestation ?

Il ne s’agit pas d’une « contestation », il s’agit d’une Révolution, comparable dans sa profondeur à celle de 1789 en France, les violences et les destructions massives en moins.

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Sur quatre millions de Libanais, plus de deux millions sont descendus dans la rue depuis le 17 octobre. Il faut leur ajouter une large majorité des 12 millions de Libanais de la diaspora, qui soutient le mouvement d’une manière affirmée, partout dans le monde. C’est inédit, surtout dans un pays qui n’a pas la culture des manifestations ! Le peuple est, depuis plus de 30 ans, sous le joug d’une classe politique qui pille les caisses de l’État. La taxe sur les communications WhatsApp a été la goutte de trop.

Est-ce comparable aux printemps arabes ?

Lorsque Rafic Hariri a été assassiné en 2005, 1,5 millions de Libanais étaient descendus dans la rue pour libérer le Liban de l’occupation syrienne. Ce fut alors le premier printemps arabe dans la région. Aujourd’hui, il s’agit de reconstruire l’État et mettre fin au culte de la personnalité et à l’omnipotence des « zaïm » (chefs de guerre en arabe) et des dirigeants des communautés religieuses. Le peuple est, pour la première fois, uni, déconfessionnalisé de facto, et déterminé à faire tomber le système. À cet effet, il exige la mise en place d’un gouvernement technique de transition avec une feuille de route bien tracée : remettre de l’ordre et de la transparence dans les finances de l’État ; récupérer l’argent pillé ; établir un code électoral indifférent aux appartenances religieuses ; garantir une justice indépendante, neutre et impartiale.

Le ferment de la crise est-il seulement économique ?

Même si le Liban est une démocratie, celle-ci n’est que de façade. Le citoyen n’est pas au cœur des préoccupations des politiques. Il n’y a pas de régime de sécurité sociale digne de ce nom. L’instruction publique n’est pas gratuite, et pas considérée comme à la charge de l’État. Ni l’université, ni l’hôpital, ne sont accessibles à tous. Un père de famille s’est immolé par le feu en 2018 parce qu’il ne pouvait pas payer les frais de scolarité de sa fille.

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Un enfant est mort devant un hôpital en 2019 parce que ses parents étaient dans l’incapacité d’avancer les frais d’hospitalisation. La pollution et la gestion des déchets sont indignes. Les forfaits internet et de téléphonie sont exorbitants. Une majorité de Libanais vit sous le seuil de pauvreté et les jeunes sont de plus en plus nombreux à prendre le chemin de l’exil. Avant la taxe WhatsApp, il y avait eu de gigantesques incendies dévorant les forêts libanaises. Face à ce dernier drame et à l’incapacité des pouvoirs publics à y faire face (les 2 Canadairs dont dispose l’État étaient en panne !), le peuple libanais avait pris conscience de la gravité de l’état du pays.

Le peuple rejette un système politique, qui conjugue élections proportionnelles et confessionnalisme politique. Quelles sont ses limites ?

Dans la Constitution, il y a un partage des pouvoirs entre un Chef de l’État maronite, un Premier ministre sunnite, et un Président du Parlement chiite. Au Gouvernement, au Parlement, dans la Justice comme dans toute l’administration, chaque confession est représentée selon des quotas, souvent au détriment de la compétence. Même le tri des déchets est communautarisé. L’accord de Taëf, signé en 1989 et mettant fin à la guerre civile, a abouti, en 1990, à une refonte de la Constitution. Cet accord prévoyait l’abolition du confessionnalisme politique, selon un plan par étape (article 95 de la Constitution) et la création d’une seconde chambre de représentation des familles spirituelles (art 22-C). Il a échoué.

Ces dernières années, la situation s’est encore dégradée..

Contrairement à ce que prévoyait la Constitution de 1990, la loi électorale de 2017 consolide le communautarisme en conjuguant la proportionnelle, le confessionnalisme politique et le vote préférentiel. Les sièges sont ainsi répartis proportionnellement au nombre des suffrages obtenus mais s’y greffent une répartition égalitaire entre les deux communautés chrétienne et musulmane et, à l’intérieur, une répartition proportionnelle entre toutes les confessions. Aux législatives de 2018, une candidate a été élue avec 1,89 % des suffrages par le biais de la répartition des sièges entre communautés ! Les citoyens, ainsi catégorisés, sont affaiblis et pillés d’une manière organisée. C’est pourquoi la Révolution du 17 octobre 2019 veut faire tomber ce mur religieux afin de pouvoir construire un État moderne garantissant les droits et libertés de tous, au-delà des appartenances particulières.


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Hiam Mouannès

Vice-présidente de l’Université Toulouse Capitole en charge du développement des sites en région, maître de conférences en droit public HDR, Hiam Mouannès effectue ses recherches à l’Institut Maurice Hauriou (IMH). Membre de l’Association française de droit constitutionnel, elle s’intéresse depuis de nombreuses années au système constitutionnel libanais. Sa thèse en droit public soutenue en 1994 s’intitulait : Les accords de Taëf, de la Ière à la IIème République Libanaise.


Le Liban en chiffres

4 millions : le nombre de citoyens libanais.

1,5 million : le nombre de réfugiés syriens vivant sur le territoire libanais.

250 000 : le nombre de réfugiés palestiniens vivant sur le territoire libanais.

12 millions : le nombre estimé de Libanais et de leurs descendants vivant à l’étranger en diaspora.




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